vendredi 22 juin 2018

Maroc 2017 - Etape 6 : Lost in translation


Tazzarine - Zagora

14 octobre


Où en étions-nous ?

Ah oui...

Le Sahara, bla, bla, bla, la beauté du désert, bla, bla, la philosophie de comptoir sur le voyage et l'aventure, bla, bla, émotion, bla, bla...

Bref, le Sahara c'est fait, et on va donc pouvoir doucement passer aux choses un peu plus sérieuses : l'Atlas.

Bien évidemment, en raison de mon sens de l'orientation défaillant, mais aussi de l'irrésistible appel de la bière qui m'attend à Zagora où il est prévu que je rejoigne ce soir une bande de motards avec qui je suis en contact sur Facebook, l'Atlas attendra un peu.

De toute façon, comme on me l'a fait très justement remarquer il n'y a pas longtemps :

"Le sens de l'orientation c'est pour les faibles qui n'ont pas assez d'essence pour explorer."
Loup Potapom, philosophe contemporaine, blogueuse*

Le but du jour est donc de rejoindre Zagora depuis Tazzarine pour aller me mettre une mine déguster quelques breuvages houblonnés avec des motards poilus qui sentent fort sous les bras. Sur ma carte, une piste qui fait le lien presque direct entre ces deux villes.

Un plan simple, pour une simple transition entre l'Est et le centre du Maroc.

Et bien évidemment, tout, absolument tout, va se passer comme prévu... *ahem*

La combi' moto c'est quand même moins confortable que le peignoir, qu'on se le dise.
 
En même temps, j'ai récemment réussi à me perdre sur l'autoroute en ayant un GPS, alors bon....

C'est vrai, je ne déconne pas.

Et je n'ai même pas honte, car le sens de l'orientation c'est pour les faibles qui...etc, etc.

CQFD.

Me voici donc parti à la recherche de cette piste...






Traversant une petite ville, je décide comme souvent de m'y arrêter pour visiter un peu. Des visites toutes relatives, de quelques minutes ou dizaines de minutes, mais qui restent essentielles pour ne pas faire simplement le connard de motard touriste motorisé de base, et s'immerger un peu dans ce nouvel environnement pour lequel je développe au fur et à mesure des jours un sentiment étrange et incontrôlable.

En gros, je suis en train de tomber amoureux du Maroc !



Je me rapelle encore de ces vieux papys assis à l'ombre d'un magasin. Comme souvent, je rage de ne pas pouvoir les prendre en photo de manière directe, de faire de vrais portraits, tant ici comme d'autres fois, ce sont de véritables tableaux qui s'offrent à moi.

Un jour, je retournerai au Maroc, prenant alors mon temps en restant dans de petits villages pendant plusieurs jours, seule option possible pour avoir une chance de réaliser un reportage photo digne de ce nom tout en respectant les personnes.

Bon j'avoue, j'ai presque mon billet de ferry pour ce prochain voyage, mais ce n'est pas le sujet.

A défaut, je tente d'immortaliser l'ambiance sans réel succès.






Mais peu importe les photos, seul l'instant présent compte réellement : je range mon appareil.

Alors que je déambule, un homme d'un certain âge m'aborde. Il me demandera d'où je viens, où je vais.

"Je viens de France...hier j'étais vers Merzouga, ce soir je serai à Zagora, mais par la suite, je ne sais pas vraiment où je vais me rendre. On verra !"

A cette phrase, cet homme, dont j'ai oublié le prénom, répondra par un long et beau discours sur le voyage, l'aventure, la vie. J'en ai oublié le détail du contenu, mais je me rappelle bien que la sagesse de ce sympathique personnage m'aura presque arraché une petite larme...


Nous nous quittons sur une franche et amicale poignée de main, il est temps pour moi de repartir, et de trouver cette fameuse piste qui me ménera à Zagora, qui me ménera à une précieuse bière fraîche !





Je n'ai toujours pas perdu mon tapis !



Rapidement, le bitume se fera de plus en plus rare...

Ca y est, je crois qu'on est bon, et je ne me suis pas (encore) perdu !

Enfin, je crois.






La piste est facile, contrairement à celles que j'avais pu arpenter il y a quelques jours, et je file visière ouverte et poussière dans les yeux dans cette immensité désertique. Comme à chaque fois que j'évolue dans de tels espaces sauvages, c'est un sentiment étrange et peu descriptible de liberté qui me prend aux tripes...

Je ne sais pas si je m'y habituerais un jour. En tout cas, je n'éspère pas !
Faut pas éxagérer non plus, hein. Du calme.








La piste est large, je pense être sur le bon chemin. Et si ce n'est pas le cas, je ne suis de toute façon clairement pas loin de la civilisation.

Je poursuis ma route en toute sérénité, pour l'instant. Si je me casse une jambe ou un bras, quelqu'un passera à un moment ou a un autre, c'est certain ! Je peux donc foutre du gros gaz, et rouler comme un cochon.

GRUIIIIK !!

Sauf que, et ceux qui ont suivi mes pérégrinations islandaises le savent, le sable et moi, on est pas copain.

Alors quand il fera son apparition, les fesses se reserreront et la sueur coulera de nouveau à flot.




Les mauvaises langues diront que la couche de sable n'excède ici pas cinq centimètres d'épaisseur.

Et ils auront raison, ces tristes sires.

Je rappelle donc aux dites mauvaises langues que je ne suis pas un pilote. Bien au-delà de cela, je suis...

Juste pour rappel, comme ça, en passant.




C'est aussi à ce moment là, qu'enchaînant croisement de pistes et petits villages où il n'y a bien sûr aucune indication, je vais commencer à doucement, mais surêment, me perdre. D'autant plus que ce foutu GPS n'a plus de batterie - vive la prise USB d'Honda qui m'a lâché au début du voyage.

Quant à ma carte papier, c'est une vaste blague. Bref, il me reste ma petite boussole sur ma veste qui m'indique que le Sud est toujours face à moi quelle que soit la direction vers laquelle je tourne. Cela tombe bien, je dois me diriger vers le Sud, je n'ai donc que l'embarras du choix.

Pratique.

Mais on s'en fout, le sens de l'orientation c'est pour les faibles, tout ça, tout ça...



Et encore une fois, si je ne sais pas où je suis, la présence humaine régulière est rassurante.

Reposante, même.

Ou presque !






Mais cette présence se fera de plus en plus rare, et les pistes de plus en plus caillouteuses et défoncées, apparemment à la faveur de récents orages qui ont créé des ornières dans cette magnifique terre rouge.





Et puis ce qui devait arriver, arriva.

La chute !

Enfin, la demi-chute...

Pour une fois, je fais dans la demi-mesure.

Alors que je perds le contrôle de Berta sur ce maudit sable, un dernier réflexe, un dernier coup de bassin me permettra de tomber du bon côté, sur cette bute qui amortira ma chute et me soulagera quelque peu lorsque je vais m'atteler à remettre la grosse d'aplomb.

Et c'est tant mieux, car je pense ne pas avoir à préciser que...

Il fait un peu chaud.

Une chute qui va annoncer la partie la plus amusante de la journée. Tellement pleine de marrade que je vais en oublier de faire des photos. Me voilà lancer dans de vieux Oued asséchés, aux pistes étroites et sableuses, bordées de cailloux que je qualifierais de "aiguisés".

Objectivement, et vous me passerez l'expression, j'en chie. Ceci dit, malgré l'aspect assez physique, je m'en sors plutôt bien. Je ne sais pas ce qui m'attend ni où je vais, mais si je suis passé dans un sens, je pourrais repasser dans l'autre s'il faut. 

On se rassure comme on peut.

Et alors que je me lance dans la traversée d'un de ces Oued, une véritable marche de pierre et de sable se dresse devant moi pour en sortir. Elle faisait au moins un mètre cette marche, ou peut-être trente centimètres, je ne sais plus.

Mais peu importe, nous ne sommes pas à ce genre de détail prés.

Impossible de m'arrêter au risque de ne pas pouvoir repartir, le sol est trop meuble, les pierres trop nombreuses. Saloperie de Berta, bien trop grosse pour mon faible niveau de pilotage dans ce genre de conditions ! J'applique donc la recette magique dans pareil cas : envoyer la sauce, et prier !

Et quand il faut y aller, faut y aller, en évitant cette fois toute demi-mesure...

Allahou Akbaaaaaaaar !

La roue avant tape la marche, je tire sur le guidon, ça secoue, je décolle un peu et...

Me voilà donc qui crie de joie sous le casque, c'est passé, c'était beau !

Il est pas très poli le monsieur.


C'est alors que ma raison, ce petit machin perdu dans l'immensité froide et sombre de ma boîte crânienne tout juste occupée par une méduse flasque faisant office d'encéphale, va se manifester.

Faisons donc le point sur la situation présente :

Je suis seul. Je ne sais pas où je suis. Il fait putain de très chaud. Le terrain est "légèrement" accidenté. Et j'en suis à crier de soulagement joie parce que je viens de passer un obstacle sur lequel j'estimais fort probable que je puisse chuter, voir me ramasser comme un coprolithe.

STOP !

Il est temps de faire demi-tour, de retourner sur mes traces, et de rejoindre ce petit village traversé quelques kilomètres avant où je vais certainement pouvoir demander mon chemin vers Zagora, via des pistes plus conformes à mon niveau de poireautitude.

Je crois que cela, cette décision sage et raisonnable, c'est un truc qu'on appelle l'éxperience. Ce n'est pas très marrant, l'expérience, mais parfois, ce n'est pas inutile !

Me voilà donc rebroussant chemin, ce qui me coûtera quelques litres de sueurs supplémentaires mais se fera sans (trop) de difficultés.


Et tout cela dans des paysages moches, bien évidemment.

Je vais finalement rejoindre une piste bien plus propre, avec un indice quant à sa praticabilité : la présence d'une mobylette.




Le recul, et le brouillard épais qui se pose sur mes souvenirs à mesure que ceux-ci s'éloignent, me feraient dire que cette partie du trajet fut assez facile. Mais en restant objectif, je crois bien que non, loin de là. Même si certains repères s'installent à nouveau, la conduite sur sable reste alors pour moi assez étrange, source d'angoisse, de stress, et de tension.

De plaisir, aussi, malgré tout.


Mon côté masochiste, à n'en pas douter.

Mon manque d'expérience, la solitude, même partielle ici, et le fait d'être totalement paumé, n'aide pas à la tranquilité totale de l'esprit.

Ceci dit, je me ferais un peu chier si il n'y avait pas le sel de l'aventure, ou du moins celui du défi personnel !

Et puis bon, le sens de l'orientation, c'est pour les faibles..et j'ai de l'essence.




Je vais donc évoluer pendant quelques kilomètres de plus dans ces pistes sableuses. Si on est loin des dunes d'un désert, la conduite y est tout de même quelque peu technique avec une machine aussi légère qu'un loukoum au saint-doux - mélange des cultures, tout ça, tout ça.



Un dernier passage délicat dans de la caillasse, une dernière mobylette dont le pilote me confirmera que je suis sur le bon chemin, et me voilà regagnant la route.



Je viens de passer plus de cinq heures, peut-être six, dans les pistes, la chaleur est étouffante. J'ai clairement mon compte pour la journée et je m'octroie une longue pause dans un petit boui-boui où je vais descendre de multiples boissons caféïnées et autres sodas presque frais pour me remettre de mes émotions et de mes efforts, ainsi que pour entretenir mon hypertension et mon diabète comme il se doit.

Ce n'est pas parce qu'on est en voyage qu'il ne faut pas prendre soin de son corps !

Je file maintenant vers Zagora le long d'une route qui, encore une fois, m'offrira quelques panoramas moches et sans intérêts.

*ahem*


Beurk.



Horrible.





Une fois à Zagora, et en attendant que les vieux motards poilus qui sentent fort sous les bras reviennent de leur balade, j'en profite pour...

Travailler.

Et oui.

J'aurais le plaisir, en ce samedi après-midi, d'avoir ma sous-fifre préférée au téléphone pendant une heure et demi - elle parle beaucoup la bougresse, pour finalement en arriver à la conclusion que tout va bien, que tout est sous contrôle, alors que je suis parti depuis presque dix jours.

Et donc, qu'en fait, je ne sers à rien.

Cela fait toujours plaisir.

Bref...

Pendant ce temps là, un gamin en habits de mécano attend et me sautera gentiment dessus pour m'emmener à son garage. Ma chaîne à besoin d'un petit entretien, j'ai du temps devant moi, alors pourquoi pas...

Et en plus on m'offrira le thé ! Une habitude au Maroc, mais je ne m'en lasse pas !



Et puis il sera temps.

Temps de faire le colon occidentale bourgeois en rejoignant un hotêl, un vrai, à Zagora. 

Un hotel de pourriture capitaliste.


L'arrivée du poireau !

Mon arrivée marquera ma rencontre avec Jean-Louis, un des membres de la petite équipe de motards poilus qui sentent fort, membres du groupe Trailiste sur Facebook. Jean-Louis, en vrai gentleman qui sait vivre, n'attendra même pas que je descende Berta pour m'offrir une bière.

Je ne le connais pas, Jean-Louis, mais me voici déjà plein d'amour pour sa personne !


Vous êtes bien urbain mon cher Monsieur.

Après une douche bien méritée, me voici dans une de mes positions préférée : accoudé à un bar, à côté de la piscine.
L'occasion de rencontrer d'autres membres de ce sympathique groupe d'aventuriers pleins d'expérience. Mais aussi de constater qu'un Marocain sympa bourré, c'est comme n'importe quel mec sympa bourré du monde : ça dit n'importe quoi et ça philosophe un maximum sur la vie !

A la tienne vieux gars bourré sympa !

Et puis il sera temps de partager le couscous avec mes amis trailistes d'un soir. Il y a notamment Jean-Louis le musicien grâce à qui je suis ici et Fred l'Artiste, tous les deux sur de petites Ténéré, Claude qui est apparemment le bourrin de la bande avec sa GS 800, Philippe le kiné qui n'a pas l'air d'être un tendre non plus sur sa moto au réservoir surdimensionné, et Môsieur Alain sur sa DR rouge. Une vraie Jobard Team du désert, accompagnée entre autre par Christine qui les suis dans un 4x4 d'assistance !

Ils font les choses bien les vieux fous ! 

A l'écoute de leurs récits, je comprends que j'ai à faire à des gens d'une grande expérience. Des vieux briscards dans le sens le plus noble de l'expression, qui connaissent pour certains le Maroc comme leur poche. Je me sens tout petit, j'ai presque honte de faire un blog de mes petites aventures quand j'entends les leur et comprend quel est leur niveau de pilotage sur les pistes et dans les dunes. Mais je ne peux pas m'empêcher, l'alcool et l'euphorie de cette formidable première partie de voyage marocain aidant, de raconter mes déboires et petites victoires alpines, islandaises ou marocaines. Et puis il ne faut pas oublier que je suis un conn*rd mégalomane égocentrique, alors il faut bien que je m'impose un peu !

Et quand je quitter le groupe pour une nuit de sommeil bien méritée, Môsieur Alain, le grand clown de la bande que je soupçonne de cacher une grande sagesse derrière ses excentricités et ses bons mots, me dira sur un ton paternel, mais pas paternaliste :

"Fais attention à toi."

Une phrase lourde de sens dans la bouche de cet homme qui roule au Maroc depuis des dizaines d'années, et qui raisonne encore brutalement en moi, étant donné la façon dont se finira ce premier voyage en terre marocaine, étant donné surtout la façon dont il aurait pu se finir si un véritable miracle ne s'était pas produit.

Et si nous nous quittons ce soir là, sans être sûr de se voir le lendemain au départ de l'hôtel, le destin, qui nous réserve souvent bien des surprises, s'arrangera pour que nos routes se croisent à nouveau.

Pour le meilleur, et pour la peur. Peut-être bien celle de ma vie.

A suivre...

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* Loup a une page FB (Chroniques Motardes) où elle a raconté le passage de son permis et narre maintenant ses premiers tours de roues. Autant vous dire que la façon qu'elle a d'engloutir les kilomètres le permis à peine en poche me fait penser à mon humble personne...elle ira loin !



9 commentaires:

  1. Super récit , comme toujours !! :)
    Merci pour la citation ����

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  2. Merci pour cette suite...

    Philippe

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  3. Dame, ça valait le coup d'attendre l'article, il est royal!
    La suite ��

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  4. allez c'est vrai tu t'es fait attendre ,mais pas déçue!! Et je doute qu'avec ce que tu nous fait sous -entendre on va avoir du GRAND toi dans toute sa splendeur!! j'ai hâte de te relire!!

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  5. beaucoup d'humour, j'adore !!!!ainsi que le Maroc où j'y suis aller 3 fois en mode blaireau.

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  6. Bon ca fait quelques posts que je te lis en silence.
    Je sais même plus comment j'étais tombé sur ton blog, c'est Cigalou qui l'avait linké sur sa page il me semble.
    Sont sympas tes récits, on ressent bien l'ambiance. Mais y'a quand même un truc qui me saute à la gueule à chaque fois, ce sont tes photos.
    Genre là, bon, y'a quelques jolis paysages, mais c'est facile le paysage, on peut prendre son temps. Par contre ce portrait du "sage sympathique", putain, il est beau.
    Serait il possible de savoir, avec quoi tu prends tes photos?
    Que je sache si, au moins, t'es un peu aidé par ton matos...

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    1. Merci :)

      Jai un vieux boîtier Nixon entrée de gamme (D5100). Avant je faisais tout au 35mm (180euros) mais pour le Maroc je me suis pris un 17-55 f/2.8 constant qui vaut une couille. Meme qualité d'image à peu de chose près que le 35mm, mais le zoom est plus polyvalent !

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    2. Merci pour ta réponse!

      Je dirais donc que tu tu es plus talentueux en photo que tu ne dis l'être dans le sable! ;)

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  7. superbe ton aventure , je te suis depuis tes débuts ou tu m'avais beaucoup ému , moi le vieux associal que je suis .
    J'admire ton courage et ta ténacité .
    Merci pour ce récit que je lit comme un livre référence que tu connais surement : (nous révions juste de libèrté ).
    J'attends bien sur la suite et te souhaite le meilleurs pour toi .un grand , un très grand même V
    Bonne route motard

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