Reprise de l'épisode précédent :
Epilogue part. 1
Je n'ai à priori rien de sérieux, et c'est évidemment l'essentiel. Mais Berta gît au fond de ce ravin, environ huit mètres en contrebas de la piste.
Une Berta dont je ne doute pas alors qu'elle soit hors d'état de rouler tellement il est déjà miraculeux que je m'en sorte sans blessures graves...
Je commence à penser à l'assurance, au rapatriement.
"Merde, je dois faire quoi exactement ?..." L'administratif, c'est comme le pilotage moto, c'est pas mon truc !
Pendant que je cogite, Philippe est allé auprès de Berta. A son retour, ce sacré Philippe me fait encore une petite blague :
"Franchement, je crois que ta moto, elle a pas grand-chose..."
Vas-y Philippe, fous-toi de ma gueule ! Je t'en prie, c'est vraiment le moment !
Sauf que non, il est sérieux le bougre. Mais dans tous les cas, pour en avoir le cœur net, il faut déjà sortir Berta de là. Et c'est à cet instant qu'Alain va rentrer dans la partie. Alain connait bien le Maroc, Alain a la tchatche, et Alain revient avec une vieille ambulance tout terrain et quatre marocains en tongs dedans.
Normal.
L'opération de sauvetage de Berta va commencer, et c'est un des moments les plus hallucinants de ma vie qui va se dérouler sous mes yeux hagards. Trop faible et endolori pour pouvoir aider, je vais alors prendre des photos. Une façon aussi de mettre une barrière entre la réalité et moi, sans aucun doute.
Une fois les bagages déchargés, tout ce petit monde va joindre ses forces pour descendre Berta dans le lit de la rivière. Le but de la manœuvre étant par la suite de pouvoir remonter la moto plus en amont pour trouver un passage moins raide, et ramener ma grosse mémère sur la piste en la tractant avec l'ambulance.
Tranquille.
Au calme.
Les locaux, qui rappelons-le sont pour la plupart en tongs, se chargeront de créer un passage en dégageant de grosses pierres comme si elles n'étaient pas beaucoup plus lourdes que de vulgaires morceaux de polystyrène.
Et vient alors l'instant fatidique. Philippe met le contact, et je me rappelle très bien d'une chose : le moteur est reparti sans même un toussotement !
Bordel.
Tout le monde applaudit et il me semble même avoir entendu quelques cris de joie. Moi, je me tiens la tête dans les mains, et une idée commence à faire son chemin : et si j'étais en mesure de finir ce voyage ?
Ce serait un vrai miracle étant donnée la chute que j'ai faite !
Mais pour cela il faut encore sortir Berta du lit de la rivière. Et voici l'Agence Tous Risques en tongs qui se démène à pousser les 240 kilos de mon fidèle destrier à contre-courant.
En relativement peu de temps, un passage est trouvé. L'ambulance a tout juste assez de marge sur la piste pour aider en tractant Berta avec une corde rose.
C'est joli le rose, c'est gai.
Je vous garantis qu'ils ont lutté, et que moi, j'étais un peu penaud de ne pouvoir les aider…
Après quelques derniers efforts, Berta retrouve un lieu qu'elle n'aurait jamais dû quitter : la piste. Et l'inspection qui va suivre confirme ce qui avait été suggéré quelques minutes plus tôt par Philippe...
Berta n'a presque rien.
Enfin, soyons clairs, tous les carénages sont plus ou moins explosés, je n'ai plus de rétroviseurs ni de plein phare, un des cale-pieds passager a disparu, le guidon est légèrement tordu et le sélecteur de vitesse, bloqué. Mais il ne semble y avoir aucune atteinte mécanique majeure, comme pour moi, si j'ose dire.
C'est un putain de miracle. Il n'y a pas d'autre putain de mot.
Le village n'est qu'à trois ou quatre kilomètres, si je comprends bien. Un de mes anges gardiens va prendre la moto pour tenter de l'y ramener. Il se vautrera lamentablement à basse vitesse à peine 100 mètres plus loin. Il faut dire qu'avec un sélecteur bloqué en seconde - ou en troisième, sur ce type de terrain, les choses ne sont pas aisées ! Et puis bon, franchement, elle n'est plus à cela près.
Quant à moi je monte péniblement dans l'ambulance. J'ai le souffle un peu court, j'ai du mal à tenir debout. J'ai l'impression d'être tombé dans un ravin et de m'être pris deux fois une moto de 250 kilos sur la gueule.
Ah bah non, merde. Ce n'est pas qu'une impression en fait. Merci à la bagagerie souple qui m'a peut-être sauvé la vie ou, à tout le moins, une jambe.
L'ambulance roule en extrême bordure du ravin, mes yeux et mes pensées s'y perdent.
Et je repense à ce que l'on m'a dit un jour : "de toute façon toi t'es un chat, il peut t'arriver n'importe quoi, tu retombes toujours sur tes pattes".
Et effectivement, c'est ce qu'il va se passer.
Déjà, parce que dès le lendemain je vais reprendre la route, malgré une Berta traumatisée et une côte très probablement fêlée - comme en attesteront les douleurs aigüs que je vais devoir supporter les deux mois suivants. Je vais réussir à rejoindre Tanger à temps pour prendre mon Ferry, après 2 jours et demi de route où je n'aurai ni la tête à voyager, ni l'énergie de faire autre chose que d'emprunter les nationales.
Quelques dizaines d'heures plus tard, je béquille la moto devant chez moi, près de Bordeaux. Ceci marquant la fin de mon voyage, mais aussi, quelques minutes plus tard la fin d'une aventure écrite cette fois à quatre mains.
Car cette chute va aussi me permettre de retomber sur mes pattes à un niveau autrement plus personnel. Elle va en fait me permettre d'ouvrir les yeux.
Car au final, ce qui est vite ressorti de cette expérience dans les jours qui ont suivis, c'est que je n'étais pas si mal dans ce ravin. Du ciel bleu, de beaux paysages, de l'adrénaline, de l'aventure, du grand n'importe quoi ! Et malgré tout le reste, la peur, le choc, la casse, la galère, j'y étais donc finalement mieux que dans tout un pan de ma vie personnelle.
Je décris souvent mon implantation, cinq ans avant ce voyage au Maroc. Et elle le fut bel et bien.
Ce fut d'ailleurs tellement extraordinaire toute cette vie, ces voyages, ces rencontres, ces aventures, que j'ai eu vite fait de rejeter un peu celui que j'étais avant. Comme s'il n'avait pas d'intérêt, tellement loin du "connard bionique" qu'il en ferait presque pitié… En le rejetant ainsi, j'ai non seulement laissé de côté une partie de ses qualités, mais j'ai aussi mis des œillères sur tous ces dommages collatéraux de la surdité qui eux, ne disparaissent pas en se branchant les oreilles le matin.
Des dommages collatéraux qui sont finalement banalement universels, puisque la plupart des traumatismes mènent à cela : manque de confiance en soi, besoin de reconnaissance, peur de ne pas être aimé pour ce que l'on est…
Bla.
Bla.Bla.
Bla. Bla.Bla.
Et ce sont ces dommages collatéraux qui m'ont sûrement aussi poussé dans mes voyages jusque-là. Pourquoi mettre une barre toujours un peu plus haute à chaque voyage qui passe, et toujours à la hauteur limite ? Sinon pour se prouver des choses à soi-même plus que pour simplement voyager ?
Et ce sont ces dommages collatéraux qui m'ont poussé et verrouiller dans une relation qui ne convenait à plus personne, et dans laquelle je me perdais de plus en plus.
J'étais bien au fond de ce ravin parce que tout était simple.
Premier point…
J'ai fait de la merde uniquement, ou presque, parce que je me suis retrouvé là où je n'aurais pas dû être. Pour me prouver que j'en étais capable...J'ai honte et je sais qu'il faut que ça change, car cette fois-ci ce n'est pas passé loin et que je ne dois mon salut qu'à mon énorme cul bordé de nouilles - en gros, j'ai eu de la chance, beaucoup de chance.
Second point…
Je veux partir à Lyon pour retrouver mon indépendance, pour faciliter mon activité professionnelle, pour la moto et la montagne. Pour partir loin des excès de fêtes avec lesquels je ne suis plus à l'aise, une vie et une région avec lesquelles je ne suis plus à l'aise. Pour me rapprocher d'un environnement et d'une nature qui me conviennent mieux, même si je la visite en la polluant et en foutant un bordel pas possible avec mon pot de kéké - on a tous nos contradictions.
Je veux arrêter de me perdre et reprendre mon chemin, le mien.
Troisième point…
Qu'est-ce que je me sens vivant bordel !
J'ai essayé de garder cette clairvoyance le plus longtemps possible, et aujourd'hui j'ai le bonheur d'habiter dans une putain de région de connard que l'on pourrait facilement qualifier de paradis de la moto.
*ahem*
J'ai retrouvé mon chemin et surtout je le fais, mon chemin…
Je commence à comprendre que je n'ai rien à prouver à personne et surtout pas à moi-même. Le sourd en moi à déjà prouvé plus de choses que ce que le "motard bionique" ou le "manager technique à tendance pourriture gauchiste à la solde du grand capitale" ne pourra jamais faire - parce que bon, hein, la vie quand on entend c'est un peu trop facile, limite il n'y a pas de défi.
Je commence à intégrer doucement que ce ne sont pas (que) mes implants qui m'ont permis d'être là où j'en suis, mais (surtout) moi.
Que je peux être fier non seulement de ce que je suis, mais aussi de ce que je deviens...et de ce j'étais.
Je pense que c'est un grand pas vers le bonheur et la sérénité.
Seul.
Ou à deux.
:)
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Un grand merci et une éternelle reconnaissance à Philippe, Alain et Fred pour leur soutien, leur compréhension et leur bonne humeur le jour de ma chute…